Ce n'est pas possible, je suis transporté d'un véhicule à l'autre sans aucun ménagement. J'ai tenté maintes fois d’attirer l’attention mais personne ne semble remarquer mes signes désespères de la main. Comme si je n’occupais pas le milieu de l’espace de la civière, comme si je n'existais pas.
Pour me distraire, j’essaie de regarder le paysage. J'ai vite abandonné le comptage des secousses de l’ambulance au chiffre 666, déjà épuisé par le non être qui envahit tout mon espace. J’avoue que tout se brouille.
Dans un semi coma, je crois entendre les mots « pas l’Hôpital de Bordighera mais celui de San Remo ».
J’en étais sûr, un malheur n’arrive jamais seul, c’est encore plus de kilomètres, plus de minutes, encore plus de ces satanées secousses.
Je n’ai jamais eu un tel ressenti du temps. J’ai l’impression qu’il s’étire, qu’avant chaque seconde s’ajoute un espace-temps supplémentaire. Pourtant j’avais bien le casque au moment de l’accident. Bizarre, vraiment bizarre, je me serais aperçu quand même si j’avais perdu la tête !
- Allô, suis-je toujours sur terre, quelqu’un peut-il me dire où je suis. Me dire si je suis bien toujours moi ?
Bizarre plus de secousses, mais il ne faut pas rêver tout continue, je me disais aussi, voici que je passe sur une civière, non un brancard. Incognito, je suis à moitié caché par un drap blanc, suis-je si atroce que ça ?
Non, une infirmière ou serait-ce un ange me parle, enfin…Je l’entends me demander mon nom.
Avec un sourire béat, je lui montre mes papiers.
Je respire, je suis bien encore un peu vivant, enfin je crois.
L’ange me conduit au fond du couloir, pousse mon brancard contre le mur et disparaît. Dans les nuages, je reste quelque temps bien au calme.
Lorsque un grand muet en blouse blanche me déplace, me dépose comme un sac de farine sur la table de radiographie. L’appareil ronronne et fait un clap de fin me dis-je.
Non le muet revient, me repositionne, un coup à droite, un coup à gauche, j'entends alors venant du fin fond de moi, un drôle de hurlement.
Groggy je me retrouve de nouveau contre le mur, je recherche l’ange pour lui parler de mes misères.
Mais le muet revient, me remet sur la table et semble absorbé dans des calculs et des manœuvres dont j’avoue ne rien comprendre. A cet instant tout se met à vibrer, basculer et de nouveau le même hurlement sort de moi.
Si encore il m’avait posé une question, j’aurais pu lui avouer même ce que je ne connais pas avec ma bonne foi chancelante.
Je n’y crois pas moi-même, le muet a parlé comme un juge donnant sa sentence : C’est bien cassé, ce dit-il avec conviction.
Je n’ose pas lui répondre que c’est normal, vu le traitement que j’ai subi dans sa machine.
Après quelques instants où je me crois encore seul au monde.
Non, on me déplace pour entrer dans une grande pièce que je reconnais car dans plusieurs tableaux de musées italiens je l’ai déjà vue.
Oui, c’est le purgatoire, je suis nu sur une couche entouré d’autres êtres. Ils semblent agités, certains gémissent, des odeurs de toutes sortes m’envahissent les narines.
Chacun semble attendre son jugement ou l’exécution de la sentence.
En ce qui me concerne, je ne sais pas quel péché je dois expier ? Car depuis l’enfance ne suis-je pas, en tant que Michel, un ange, voir un archange ?
Trois hommes en blouse blanche s’approchent en parlant entre eux. Tout juste un regard et Ils me mettent une sorte de poids au pied de la jambe gauche. Une punition digne d’un forçat.
Cet univers impitoyable me fait penser aux horribles salles de tortures d’antan. Quoi encore ? Ils m’installent une sonde, je ne savais pas qu’il fallait passer par là pour atteindre l’âme. Mais quel liquide coule de la patère derrière moi dans ma veine, peut-être un peu de remords de leur part car je me sens soudain, presque bien.
La nuit tombe doucement et la salle est à demie éclairée. Elle me rappelle, le célèbre tableau de Botticelli représentant l’enfer. J’ai beau regarder chaque détail du haut jusqu’au bas, je ne me reconnais pas ou peut être suis déjà bien trop déformé par cet atmosphère digne de la divine comédie.
A peine un œil fermé et déjà du remue-ménage. J’ai droit à 2 biscottes il n'y a plus de café, je dois me contenter de son odeur qui imprègne l’atmosphère.Un simulacre de toilette et je vois revenir les trois blouses blanches avec un chapeau de juge. Ils m’indiquent qu’il me faut choisir avant ce soir mon destin : soit l’opération soit je disparais de ce lieu.
Avec le peu de conscience qui me reste je dois me débrouiller pour m éclipser.
- Comment trouver le chemin pour aller au paradis sans passer par la case descente aux enfers ?
- Surtout ai-je les moyens de faire le moindre choix ? Il fallait si attendre, je délire. Je parie que même Dante n’avait pas prévu mon cas.
Je me vois traînant dans les couloirs, cherchant une issue, je ne sais pas par quel mirage : Un tapis volant dérobé au génie d’Aladin ou une oie sauvage que me prêterait Nils Holgerson ?
Au contraire, je me vois tomber dans un trou sans fond comme si un diablotin me tirait en riant par les pieds.
Soudain, une lumière enveloppe l’espace, formant l’hologramme de deux anges habillés comme des secouristes de montagne. Ils sont venus directement vers moi et m’ont posé sur un nuage de douceur. Ils me parlent de la France, de Nice et de l’hôpital Pasteur.
A cet instant, j’ai un aperçu du paradis, je touche à présent le ciel bleu de la vie. Je vois à nouveau le monde s’éclairer autour de moi. Serait-ce la fameuse rédemption, une continuité heureuse en quelque sorte de ma vie après un petit dérapage ?
Soudain, tout devient si doux si coloré comme si j’avais droit à ressusciter, à revenir des enfers.
Mon corps et mon cœur se réjouissent et des larmes brouillent ma vue
Michel , le 03 aout 2024
UN VRAI FAUX CAUCHEMAR